QUATRE SOMMETS DU PIANO FRANÇAIS. Dossier pédagogique
Dernière mise à jour : 01.12.2023
Sommaire
- Introduction
- Jean-Philippe Rameau. Prélude, Le rappel des oiseaux, Gavotte
- César Franck. Prélude, Choral et Fugue
- Claude Debussy. Suite Bergamasque
- Olivier Messiaen. Prélude, L’alouette lulu
- Eléments d’histoire de la musique
- Notice pour l’enseignant
- Remerciements
Introduction
Ce dossier pédagogique accompagne le CD Quatre sommets du piano français (Tbilissi, Sound Orbit | SOG 230901) enregistré par le pianiste et musicologue Georges Bériachvili en 2023. Il est destiné en premier lieu aux enseignants de langue et civilisation françaises, en vue de leur permettre de monter un ou plusieurs cours autour de la musique française et d’élargir en même temps leur horizon culturel. Le dossier est conçu de manière que ses usagers n’aient pas besoin d’avoir des connaissances spécifiques en matière de musique. Cependant, il peut intéresser également les enseignants de conservatoires, les professeurs de musique d’enseignement secondaire, ainsi que tout autre professionnel ou amateur de musique.
Préface du livret
Le programme enregistré sur ce disque est né d’une demande de la Délégation de la Renaissance Française en Géorgie créée au sein de l’Université d’État Ilia à Tbilissi. Il s’agissait d’imaginer une présentation panoramique de la musique française pour piano, destinée à des professeurs et apprenants de langue et civilisation françaises.
L’histoire de la musique française pour clavier est richissime et à la fois bigarrée. Comment en concevoir une sélection suffisamment représentative et équilibrée d’une durée d’un seul récital ? La solution que j’ai proposée était de mettre en valeur quatre acmés de cette histoire, qui correspondent aux périodes de la plus intense floraison de la création pianistique en France : la première moitié du XVIIIe siècle avec Jean-Philippe Rameau – l’apogée de l’École française de clavecin ; le siècle romantique avec César Franck ; la Belle Époque avec Claude Debussy ; et le XXe siècle avec l’incontournable figure d’Olivier Messiaen.
La seule grande époque musicale que l’on ne retrouve pas dans ce florilège est celle du classicisme de la seconde moitié du XVIIIe siècle. En effet, en France, dans le domaine du piano, ce style n’a pas eu de représentants significatifs, pendant qu’à Vienne défilaient Haydn, Mozart et Beethoven.
Toutes les œuvres enregistrées, malgré leur appartenance à des époques et des styles très différents, partagent quelques qualités qui sont propres à la musique française en général : concision et inventivité de la forme, harmonie recherchée, travail fin du détail, importance des demi-teintes.
Ce programme assortit également deux bras millénaires de la culture française : laïque et sacré. Rameau et Debussy, dans la vie et dans l’art, étaient des compositeurs éminemment séculiers ; Franck et Messiaen – tous deux profondément croyants – ont largement ancré leur œuvre dans la spiritualité catholique. Toujours est-il que dans la musique classique, le sacré et le profane s’entrelacent et se confondent constamment, qu’il s’agisse des formes, des moyens d’expression ou de l’imaginaire associé.
Georges Bériachvili
Jean-Philippe Rameau (1683-1764)
Extrait du livret
Prélude en la mineur est la toute première œuvre de Jean-Philippe Rameau qui nous est parvenue. Elle ouvre son Premier livre de pièces de clavecin, publié en 1706, l’année où le jeune compositeur de 23 ans, encore totalement inconnu, a effectué son premier séjour à Paris. Les qualités artistiques et techniques de ce recueil sont déjà tout à fait remarquables. Aux côtés de François Couperin (dit « le Grand »), Rameau deviendra bientôt l’un des deux plus éminents représentants de l’École française de clavecin. Ses contributions suivantes seront le Deuxième livre de pièces de clavecin (1724), d’où est tiré Le Rappel des Oiseaux et le Troisième livre de pièces de clavecin (1728), dont fait partie la Gavotte en la mineur.
Parallèlement à son activité de compositeur et d’instrumentiste – il a notamment beaucoup exercé en tant qu’organiste, mais n’a apparemment produit aucune œuvre pour cet instrument –, Rameau rédige plusieurs ouvrages théoriques qui constitueront le fondement de toute la pensée théorique moderne de la musique.
Après la publication de son Troisième livre, Rameau cesse quasiment d’écrire pour clavecin seul. À partir de 1733, sa carrière se poursuit dans le domaine de l’opéra avec toute une série de chefs-d’œuvre qui le porteront au sommet de sa notoriété.
Prélude du Premier livre de pièces de clavecin comporte deux parties. La première, en mouvement libre non-mesuré, s’inspire de l’ancien style quasi improvisé de musique pour luth. La tradition du luth se trouve d’ailleurs aux origines de toute l’École française de clavecin. La seconde partie représente une évocation de la gigue et prend pour modèle les sections centrales rapides des « ouvertures à la française » (lent-vif-lent).
Le Rappel des oiseaux fait partie des morceaux les plus poétiques et les plus joués de Rameau. Cette pièce est un exemple particulièrement gracieux de l’art aristocratique de plaisance, associant une fine sensibilité et une mélancolie rêveuse.
La Gavotte a pour titre complet « Gavotte avec les Doubles de la Gavotte ». Le terme « double » désignait à l’époque la variation. Il s’agit en effet d’un thème suivi de six variations. La musique française de clavecin est un art de miniatures par excellence. Ce morceau, dont la durée ne dépasse pas huit minutes, est la plus vaste pièce pour clavier de Rameau. Le compositeur y déploie un dynamisme du développement combiné avec une virtuosité considérable qui laisse pressentir l’évolution future de l’art pianistique.
Pistes 5-7 du disque :
Caractéristiques de l’époque
En France, la première moitié du XVIIIe siècle – dit siècle des Lumières – était une époque de grands changements culturels, sociaux et intellectuels. La raison, la science et la réflexion critique gagnaient du terrain face aux croyances traditionnelles. Les salons intellectuels animés par des penseurs tels que Voltaire, Rousseau et Diderot étaient au cœur de cette période de bouillonnement d’idées.
Le règne de Louis XIV (1638-1715), dit Roi Soleil, s’est terminé laissant la France à l’apogée de son rayonnement culturel et politique. Il a duré soixante-douze ans, ce qui en fait le plus long règne de tous les monarques français et européens. Sous Louis XIV, la puissance politique et militaire, atteinte par la France, a été accompagnée de réalisations culturelles qui ont contribué au prestige de la France, de son roi, de son peuple et sa langue. En créant un État absolutiste centralisé, Louis XIV est devenu l’archétype du monarque absolu.
Cependant, à la fin du règne de Louis XIV, le pays s’est retrouvé lourdement endetté et socialement tendu. Après sa mort, son arrière-petit-fils, Louis XV est monté sur le trône. Comme il était encore enfant, le pays était gouverné par Philippe d’Orléans en tant que régent. La période de Régence a été marquée par des intrigues politiques et de pénibles tentatives de redressement des finances publiques.
Par la suite, au cours du règne de Louis XV, la France a connu des avancées importantes, ainsi que nombre d’échecs. Elle a été impliquée dans plusieurs conflits, dont les plus importants sont la guerre de Succession d’Autriche (1740-1748, coalition Prusse–Bavière–France contre coalition Autriche–Grande-Bretagne–Pays-Bas–Russie), et la guerre de Sept Ans (1756-1763, France–Autriche–Espagne–Russie contre Grande-Bretagne–Prusse–Électorat de Hanovre, avec nombre d’autres alliés moins importants de chaque côté). La France a perdu ses colonies au Canada et en Inde, mais s’est agrandie des duchés de Lorraine et de Bar, ainsi que de la Corse. Le pays a traversé également des difficultés économiques, des troubles religieux et sociaux. Mais sa population ne cessait d’augmenter, dépassant, vers la fin du règne de Louis XV, 25 millions. Grâce à de nouvelles technologies (la machine à vapeur, la métallurgie…) et le commerce avec les colonies, la classe bourgeoise a connu une croissance économique spectaculaire. Globalement, le pays a prospéré.
Les sciences et la culture progressaient sous le signe du mouvement intellectuel des Lumières, qui prônait la suprématie de la raison, le progrès de la science, l’égalité entre les hommes, les droits et les libertés individuels, contre l’irrationnel, la foi, les dogmes de l’Église, l’arbitraire et l’injustice sociale. Du même coup, cette démarche effritait les fondements de la monarchie absolue.
Une publication particulièrement influente de l’époque était l’Encyclopédie, dirigée par Denis Diderot et Jean le Rond d’Alembert. L’ouvrage a été publié entre 1751 et 1772 en 28 volumes, auxquels se sont ajoutés 5 volumes supplémentaires (1777) et 2 volumes d’index (1780). Cette immense compilation de connaissances, rédigée par plus de 140 auteurs, couvrant les sujets les plus divers – sciences, arts, politique, économie, philosophie, etc. – a contribué à la diffusion des idées des Lumières dans le monde entier. L’Encyclopédie a également préparé les esprits aux changements révolutionnaires de la fin du XVIIIe siècle.
L’une des figures importantes du règne de Louis XV était Madame de Pompadour, l’éminente maîtresse du roi, qui a exercé une influence significative sur la vie culturelle et politique de la cour. Plusieurs artistes et compositeurs, dont Rameau, ont bénéficié de son mécénat. Elle a notamment joué un rôle notable dans l’essor du style rococo. Rameau peut être considéré comme un des plus grands représentants de ce style en musique.
Louis XV, de son côté, soutenait aussi l’œuvre de Rameau. En 1745 il l’a nommé « Compositeur de la Musique de la Chambre de Sa Majesté » avec une pension annuelle de 2 000 livres. Cette situation a fourni à Rameau une stabilité financière et une plateforme pour développer ses activités de compositeur et de théoricien.
L’œuvre de Jean-Philippe Rameau
Jean Philippe Rameau est né le 25 septembre 1683 à Dijon. Il a commencé à apprendre la musique avec son père, organiste à l’église Saint-Étienne de Dijon. Les dons musicaux de Jean-Philippe se sont révélés très tôt. Son père avait beau rêver d’une carrière de magistrat pour son fils, il ne s’intéressait qu’à la musique, à tel point qu’il a bâclé et arrêté ses études générales au collège jésuite des Godrans.
À 18 ans, avec l’aide de son père, Rameau entreprend un voyage d’études en Italie, mais il n’en profite pas suffisamment et rentre en France au bout de quelques mois. À partir de 1702, il exerce le métier d’organiste dans différentes villes : Avignon, Clermont-Ferrand, Paris (en 1706), Dijon (1709), Lyon (1713) et encore Clermont-Ferrand (1715). Il ne se fixe à Paris qu’en 1723. En 1726, il se marie.
Durant cette première période de sa vie, il compose plusieurs cantates, œuvres pour chœur, musiques pour des spectacles comiques de foire, et surtout, ses trois Livres de pièces de clavecin (publiés en 1706, 1724 et 1728).
Un autre domaine qu’il investit avec persévérance durant toute sa vie est la théorie de la musique. Sa démarche de théoricien se nourrit des avancées scientifiques fondamentales de l’époque et de grandes entreprises de systématisation, tels que la théorie de la fonction mathématique (Leibniz et Bernoulli), la nouvelle grammaire française (Antoine Arnauld et Claude Lancelot), la classification des espèces biologiques (Carl von Linné). Le premier ouvrage théorique de Rameau, Traité de l’harmonie réduite à ses principes naturels, paraît en 1722 et apporte à son auteur aussitôt la notoriété du plus grand théoricien de la musique.
Par la suite, Rameau a rédigé encore plusieurs ouvrages théoriques de première importance. Ses idées ont constitué la base pour tout le développement ultérieur de la théorie musicale. Si bien qu’après son décès, et jusqu’à la redécouverte du répertoire baroque dans les années 1950, Rameau était surtout considéré comme grand théoricien et, dans un deuxième temps, comme compositeur.
La deuxième grande période de la vie créatrice de Rameau est liée à la scène lyrique. Sa novelle carrière de compositeur d’opéra commence quand il a déjà 50 ans. Il a été incité à se lancer dans cette voie par le cercle artistique qu’il fréquentait auprès du grand mécène, l’un des hommes les plus riches de France, Alexandre Le Riche de La Pouplinière. Rameau est entré au service de La Pouplinière comme maître de musique, organiste et chef d’orchestre vers 1731; il y est resté pendant 22 ans.
Son premier opéra est la tragédie lyrique Hippolyte et Aricie (1733), qui connaît un énorme succès. À partir de ce moment, Rameau devient le compositeur le plus en vue. Sa musique d’opéra prend rang parmi les achèvements culturels les plus emblématiques du royaume de France. Les deux principaux genres scéniques typiquement français – tragédie lyrique et opéra-ballet – seront portés par Rameau au sommet de leur développement. En tout, il composera une trentaine d’œuvres scéniques, dont 5 tragédies lyriques et 6 opéras-ballets.
Parmi ses meilleures productions, citons l’opéra-ballet Les Indes galantes (1735) et la tragédie lyrique Castor et Pollux (1737).
En 1752, éclate la « Querelle des bouffons », l’une des plus célèbres polémique esthétique de l’histoire de la musique. Cette querelle a divisé Paris en deux camps adverses : l’un défendait la musique française – en particulier, la tragédie lyrique –, l’autre, la musique italienne et l’opera bouffa (opéra comique italien). Les protagonistes de la querelle étaient Jean-Philippe Rameau, pour le goût français et Jean-Jacques Rousseau, pour le goût italien.
Cette polémique a donné lieu à la publication d’une cinquantaine de pamphlets. L’ensemble de textes, liés à la querelle, compte deux milliers de pages ! Pardessus son contenu purement esthétique, cette querelle avait une dimension politique majeure. Les partisans de Rameau et de la musique française se rassemblaient à l’opéra sous la loge du roi (« coin du roi »), et se plaçaient symboliquement sous son autorité (plutôt, en réalité, sous l’autorité de Mme de Pompadour). Le parti de Rousseau et des Italiens, respectivement, se réunissait sous la loge de la reine (« coin de la reine »). Mais les enjeux des débats allaient beaucoup plus loin. Ils portaient sur des questions d’identité nationale, culturelle et linguistique. L’opéra français apparaissait comme un emblème de l’État absolutiste, avec son aspect fastueux, emphatique et musicalement complexe, alors que l’opéra italien lui était opposé par son caractère démocratique, son langage musical plus simple et son naturel dans l’expression des sentiments par la mélodie.
La querelle n’a pris fin que lorsqu’en 1754, le roi, par son décret, a chassé les troupes italiennes de France. Mais Rameau a publié encore plusieurs écrits à ce sujet, notamment, Les erreurs sur la musique dans l’Encyclopédie (1755), et Suite des erreurs (1756). En effet, les articles sur la musique dans l’Encyclopédie avaient été rédigés par Rousseau.
Il n’en reste pas moins que le style de la tragédie lyrique n’a pas eu d’avenir historique après Rameau. Car l’évolution de la musique a suivi celle de la société. Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, dans la musique s’est imposé le style classique enraciné davantage dans l’opéra italien. Seul Rameau a continué à écrire des tragédies lyriques.
En 1764, quelques mois avant son décès, le compositeur a été anobli par Louis XV.
Écoutes supplémentaires
Correspondances avec les arts plastiques
La musique de Rameau peut être à juste titre rapprochée des arts visuels français du premier XVIIIe siècle, notamment du style rocaille (ou rococo). L’esprit de la musique de Rameau trouve son pendant chez les artistes comme Antoine Watteau, François Boucher, Jean-Honoré Fragonard, entre autres, ainsi que dans le style Louis XV dans les arts décoratifs.
Textes associés
1.
En 1761, Rameau, originaire de Dijon, a été reçu à l’Académie des Sciences, Arts et Belles-Lettres de cette ville. Après le décès du compositeur, le secrétaire perpétuel de l’Académie Hugues Maret, médecin et polymathe français (1726-1786), a prononcé, lors d’une séance solennelle du 25 août 1765, un discours d’éloge de Jean-Philippe Rameau, qui, par la suite, a été édité sous forme d’une brochure (Dijon, Causse, 1766. Source : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k57274654/f5.item). En voici quelques extraits :
« La nature qui l’avait choisi pour lui révéler ses secrets, ne s’était pas contentée de lui donner une oreille délicate et des doigts agiles ; elle l’avait encore doué d’une âme forte, capable des réflexions les plus profondes et du travail le plus opiniâtre, lorsqu’il s’agissait de découvrir la vérité. » (p. 8)
« La nature l’avait choisi pour nous faire connaître le vrai genre, le genre qu’elle avouait elle-même ; et cédant à l’impulsion de son génie, il devint, sans en avoir conçu le projet, le réformateur et le législateur de la musique, il en perfectionna la théorie. Et il fit voir à la France étonnée jusqu’à quel point on pouvait en porter la pratique. » (p. 9)
« La musique française, tant instrumentale que vocale, n’était goûtée qu’en France, et l’Italienne triomphait par toute l’Europe, lorsque Rameau par l’exécution la plus brillante, par la composition la plus belle et la plus savante, vint opérer une révolution imprévue qui fit partager à notre musique l’empire que possédait sa rivale. » (p. 23)
« Rameau fut donc un Organiste réellement distingué, et ses sonates, ses concertos, mais surtout différentes symphonies et pièces de clavecin qui furent transportées en Italie, le firent connaitre avec le plus grand avantage ; l’Italien même commença dès-lors à s’étonner qu’un Musicien français pût mériter des louanges. Mais le moment n’était pas éloigné où l’admiration devait succéder à la surprise. Le génie de Rameau le poussait dans une carrière plus brillante, et des chefs-d’œuvre de musique vocale devaient assurer son immortalité. » (p. 23)
« On entendait, pour la première fois, des airs dont l’accompagnement augmentait l’expression, des accords surprenants, des intonations qu’on avait cru impraticables, des chœurs, des symphonies dont les parties différentes, quoique très nombreuses, se mêlaient de façon à ne former qu’un tout. Les mouvements étaient combinés avec un art inconnu jusqu’alors ; appliqués aux différentes passions avec une justesse qui produisait les effets les plus merveilleux. Ce n’était plus au cœur seul que la musique parlait ; les sens étaient émus, et l’harmonie enlevait les spectateurs à eux-mêmes, sans leur laisser le temps de réfléchir sur la cause des espèces de prodiges qu’elle opérait. » (p. 28-29)
« Rameau était d’une taille au-dessus de la médiocre, mais d’une maigreur singulière ; tous les traits de son visage étaient grands et annonçaient la fermeté de son caractère, ses yeux étincelaient du feu dont son âme était embrasée ; si ce feu paraissait quelquefois assoupi, il se ranimait à la plus légère occasion, et Rameau portait dans la société le même enthousiasme qui lui faisait enfanter tant de morceaux sublimes. » (p. 34-35)
« Trop grand pour être jaloux, il louait avec sincérité, avec plaisir, avec chaleur, ceux qui méritaient des louanges, eussent-ils même été ses ennemis ; (…) J’ajouterai, pour achever son portrait, que quelque prévenu qu’il dût être en sa faveur, il cédait aux observations critiques des gens instruits. » (p. 36)
« Il se plaçait presque toujours dans une petite loge, lors des représentations de ses opéras ; mais il s’y cachait de son mieux, et même s’y tenait couché. Si le public l’apercevait et l’applaudissait, il recevait les applaudissements avec une modestie qui l’en rendait encore plus digne. » (p. 73)
2.
Claude Debussy à propos de l’apport de Jean-Philippe Rameau à la musique française (Source : Debussy, Claude. Monsieur croche et autres écrits. Paris, Gallimard, 1971, p. 206-207) :
« L’immense apport de Rameau est ce qu’il sut découvrir de la “sensibilité dans l’harmonie” ; ce qu’il réussit à noter certaines couleurs, certaines nuances dont, avant lui, les musiciens n’avaient qu’un sentiment confus.
Comme la Nature, l’Art subit des transformations, décrit d’audacieuses courbes, mais finit toujours par retrouver son point de départ. Rameau, qu’on le veuille ou non, est une des bases les plus certaines de la musique, et l’on peut sans crainte marcher dans le beau chemin qu’il traça, malgré les piétinements barbares, les erreurs dont on l’embourbe.
C’est pourquoi, aussi, il faut l’aimer, avec ce tendre respect que l’on conserve à ces ancêtres, un peu désagréables, mais qui savaient si joliment dire la vérité. »
César Franck (1822-1890)
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Extrait du livret
Né en Wallonie et naturalisé Français, César Franck a eu un parcours créatif rare parmi les grands artistes. Il n’est devenu compositeur de génie que dans la dernière décennie de sa vie.
Enfant prodige, il a été amené à Paris par son père pour continuer ses études au Conservatoire de Paris. Il s’est rapidement fait un renom de virtuose exceptionnel du piano, puis s’est davantage orienté vers l’orgue. À partir de 1858 jusqu’à la fin de ses jours, il a assuré le poste d’organiste à l’église Sainte Clotilde dans le 7e arrondissement de Paris. En 1872, Franck est devenu professeur d’orgue au Conservatoire de Paris. Remarquable pédagogue, il a créé toute une école en formant de nombreux organistes et compositeurs dont Vincent d’Indy, Henri Duparc, Ernest Chausson, Louis Vierne.
Cependant, la maturation de Franck en tant que compositeur a été lente. Ses œuvres de jeunesse multipliaient des figures assez conventionnelles de style romantique du milieu du XIXe siècle. Son art évoluait très progressivement, jusqu’à ce qu’il ne produise, tel un miracle, une œuvre dont la puissance d’expression et la grandeur ont peu d’égales dans tout le répertoire de musique de chambre : le Quintette en fa mineur pour piano et cordes. Le compositeur avait alors 57 ans. À partir de ce moment, il n’a cessé d’enrichir la musique de compositions magistrales en donnant un nouveau souffle à la musique instrumentale française.
Aux côtés du Quintette, deux autres pièces de Franck se hissent au rang de chefs-d’œuvre absolus de l’histoire de la musique : Prélude, Choral et Fugue et Sonate pour violon et piano.
Dans Prélude, Choral et Fugue (1884), Franck a réalisé une synthèse unique entre la tradition de J.-S. Bach, l’héritage de Beethoven et le romantisme du XIXe siècle. À Bach font référence certaines tournures mélodiques, l’écriture polyphonique, ainsi que le titre même de l’œuvre. De Beethoven vient surtout la trame générale : un cheminement à travers luttes et tourments vers la lumière. La partie transitoire entre le Choral et la Fugue est également tout à fait beethovénienne, avec une « recherche » du thème et sa formation à partir de motifs déjà entendus dans le Prélude et le Choral. Enfin, le caractère romantique de la musique s’exprime aussi bien par le langage musical fouillé et l’écriture pianistique foisonnante que par le ton d’expression très personnel et passionné. Prélude, Choral et Fugue retrace une quête spirituelle profonde et ardente qui aboutit à un triomphe de la foi exaltée.
Pistes 10-13 du disque :
Prélude (00:00), Choral (04:34), [Poco Allegro] (09:02), Fugue (10:29)
Caractéristiques de l’époque
Le XIXe siècle, dans l’histoire de France, est une période politiquement dense et fiévreuse, qui s’est accompagnée d’une intense évolution de la société, d’un progrès rapide des sciences et des technologies, ainsi que d’un foisonnement intellectuel et culturel. Depuis le grand séisme de la Révolution française, le pays a connu plusieurs retournements politiques et chocs révolutionnaires. Rappelons-en la chronologie :
1815 – Abdication définitive de Napoléon Ier et fin du Premier Empire.
1815-1830 – Restauration des Bourbons, monarchie constitutionnelle, Louis XVIII, puis Charles X, qui tente de rétablir la monarchie absolue, ce qui mène à :
27, 28, 29 juillet 1830 – Révolution de juillet, « Trois Glorieuses ».
1830-1848 – Monarchie de juillet, Louis-Philippe Ier (monarchie constitutionnelle, puis, régime parlementaire dualiste).
22-25 février 1848 – « révolution de Février », abdication de Louis-Philippe, proclamation de la Deuxième République.
1848-1852 – Deuxième République.
1852-1870 – Second Empire, Napoléon III.
19 juillet 1870 – 29 janvier 1871 – Guerre franco-allemande, défaite et chute de Napoléon III.
4 septembre 1870 – Proclamation de la Troisième République.
18 mars – 28 mai 1871 – Commune de Paris, écrasée après la Semaine sanglante par le « gouvernement de Versailles ».
1871-1875 – Discordes et hésitations parlementaires entre les royalistes, portant différents projets de rétablissement de la royauté, et les républicains.
1875 – Adoption de la constitution de compromis, menant à la stabilisation progressive de la Troisième République (1870-1940).
Tout au long de cette période complexe, la France, comme une grande partie de l’Europe, connaît l’accélération du progrès industriel, le développement rapide des usines et des chemins de fer, l’augmentation du pouvoir des banques et des financiers.
Napoléon III s’engage dans plusieurs guerres extérieures (guerre de Crimée, Campagne d’Italie de 1859, expédition du Mexique, entre autres) et, surtout, commence une expansion coloniale soutenue (annexion de la Nouvelle-Calédonie, colonisation du Sénégal, du Gabon, du Cambodge, des îles dans le Pacifique). La Troisième République, ensuite, entérinera l’Empire colonial français en lui joignant de vastes territoires africains, ainsi que l’Indochine.
Napoléon III a également beaucoup investi dans la promotion de son image à travers des campagnes de communication et des réalisations monumentales, comme le remodelage de Paris sous la direction de Georges-Eugène Haussmann (larges boulevards, parcs, style « haussmannien » d’immeubles, etc.), le début de la construction de l’Opéra Garnier, ou encore, la restauration et l’achèvement du Louvre.
L’industrialisation et l’expansion coloniale ont énormément enrichi le pays, mais, en même temps, ont augmenté l’injustice et l’inégalité sociales. La classe ouvrière est devenue une force importante et active.
Au cours du XIXe siècle l’autorité du catholicisme n’a cessé de diminuer, mais la désillusion progressive a frappé aussi les idéaux de la Révolution et des Lumières.
Le romantisme, dans tous les domaines de l’art et des lettres, atteint son acmé dans les années 1830. Mais il est déjà concurrencé par le réalisme littéraire (Balzac, Stendhal, Mérimée), qui scrute lucidement et sans emphase la société et ses mœurs. Après 1848, la vague romantique tombe définitivement et cède la place à plusieurs courants postromantiques, qui cherchent, chacun à sa façon, de trouver leur place et leur mission dans la société où triomphent le profit, la duplicité et l’injustice sociale.
Le réalisme continue son développement chez Flaubert, puis chez Zola (naturalisme). Gustave Courbet le professe dans la peinture. Dans la poésie émerge le mouvement parnassien, qui proclame le slogan « l’art pour l’art ». Son précurseur est Théophile Gautier et parmi les poètes qui s’en rapprochent, on peut citer Baudelaire, Verlaine et Mallarmé. À partir des années 1870, dans le sillage de Baudelaire, se développent le décadentisme (Verlaine) et le symbolisme (Mallarmé). Dans les années 1860, apparait l’impressionnisme – mouvement pictural qui s’opposait à l’académisme de l’art officiel.
Il est à noter que tous les courants susmentionnés ont été, à leur naissance, marginaux par rapport aux formes d’art dominantes, consacrées par les institutions. L’Académisme dans la peinture est l’exemple le plus saillant de l’art institutionnel de l’époque – art pré-codifié, souvent « pompier », et intérieurement vide, qui créait une atmosphère étouffante pour beaucoup d’artistes talentueux. Le monde musical a connu un phénomène semblable avec l’enseignement formel du Conservatoire de Paris, ainsi qu’avec les goûts superficiels du public de l’opéra et de l’opérette.
À partir de 1871, la vie artistique et intellectuelle s’intensifie et se diversifie en s’acheminant vers une nouvelle période de floraison pleine de contrastes et de controverses.
La musique de César Franck dans son contexte historique
César Franck est né le 10 décembre 1822 à Liège. En 1830, son père, un employé de banque, l’inscrit au Conservatoire royal de Liège et, en 1834, à l’âge de 12 ans, l’enfant obtient déjà les grands prix de piano et de solfège.
C’est une période où l’engouement pour les virtuoses de piano en Europe bat son plein, et le père de Franck caresse des ambitions grandioses pour l’avenir de son fils. Il lui organise des concerts en Allemagne et en Belgique. L’enfant se produit même en présence de Léopold Ier au Palais royal de Bruxelles.
En 1835, les Franck partent pour Paris pour poursuivre la formation de César et de son frère cadet Joseph qui joue du violon. À cette époque, Paris est un centre mondial de culture musicale. C’est une ville où vivent de nombreux grands musiciens, parmi lesquels Chopin, Liszt, Paganini, Berlioz, Meyerbeer, Rossini, Donizetti.
Pour intégrer le Conservatoire de Paris, il était exigé d’être de nationalité française. La procédure de naturalisation aboutit en 1837 et César Franck devient élève du Conservatoire. Ses succès en tant qu’élève sont littéralement éblouissants.
En 1840 il s’inscrit également dans la classe d’orgue. C’est l’idée de son père, pour qu’éventuellement, un jour, un poste d’organiste dans une église puisse lui assurer un revenu fixe.
Deux ans plus tard, César est ramené par son père à Liège pour démarrer une grande carrière de concertiste et compositeur. Le jeune musicien semble avoir tout pour y réussir. Ses concerts ont une bonne critique. Mais sa vie prend bientôt un autre tournant.
En 1843, la famille revient à Paris en vue de continuer ses efforts de conquête de la scène musicale. Pour gagner sa vie, Franck commence à donner des cours particuliers de piano, de contrepoint et d’harmonie. Bientôt, il s’éprend d’une élève, Félicité Desmousseaux, fille d’acteurs de la Comédie française. Le père de Franck s’oppose au projet du mariage, ce qui provoque une violente rupture entre le père et le fils.
Franck se marie en 1848 contre le gré de son père. La carrière de virtuose et le succès mondain facile ne l’intéressent pas vraiment. Le mode de vie de musicien modeste, de travailleur assidu, passionné, mais discret, correspond mieux à son tempérament. Il vit de ses cours privés et du travail de pianiste-accompagnateur.
Les œuvres de Franck des années 1840-50 portent déjà une marque de la personnalité de leur auteur, mais restent encore en-dessous de chefs-d’œuvre des grands compositeurs du XIXe siècle. Franck continue patiemment à chercher son propre chemin et à perfectionner son art.
À partir de 1853, il commence à travailler comme organiste dans les églises parisiennes : à Notre-Dame-de-Lorette, puis, à Saint-Jean-Saint-François du Marais. Enfin, en 1858, il devient titulaire de l’orgue de la nouvelle église Sainte-Clotilde dans le 7e arrondissement, où il restera jusqu’à sa mort.
L’atmosphère artistique du Second Empire est à l’opposé de ses aspirations. Franck est porté vers l’art sérieux et profond, alors qu’à Paris, à cette époque, la musique n’est considérée que comme un divertissement léger ou un ornement de la pompe impériale. La musique symphonique et la musique de chambre n’y sont pas à l’honneur, sauf, en partie, le répertoire allemand éprouvé. Le public afflue vers l’opérette. Les quelques lieux qui favorisent la création de haute qualité, comme le Théâtre Lyrique (1851-1870) où, notamment, ont été créés Faust et Roméo et Juliette de Gounod, ne changent pas l’ambiance générale. D’ailleurs, depuis 1848, Paris a progressivement perdu son aura de grande capitale musicale, pour ne la retrouver qu’à la Belle Epoque.
Camille Saint-Saëns, à propos de cette période écrivait :
Un compositeur français, qui avait l’audace de s’aventurer sur le terrain de la musique instrumentale, n’avait d’autre moyen de faire exécuter ses œuvres que de donner lui-même un concert et d’y convier ses amis et les critiques. Quant au public, au vrai public, il n’y fallait pas songer ; le nom d’un compositeur, à la fois français et vivant imprimé sur une affiche avait la propriété de mettre tout le monde en fuite (Saint-Saëns, Camille. Harmonie et mélodie. Paris, Calmann Lévy, 1885, p. 207).
La situation commence à évoluer à partir de 1871. La dynamisation de la vie musicale s’est esquissée déjà pendant le siège de Paris de 1870 et la Commune de Paris. En février 1871 est créée la Société nationale de musique, dont le but est une large promotion de la musique française. Parmi ses membres fondateurs on trouve Camille Saint-Saëns, César Franck, Jules Massenet, Gabriel Fauré, Henri Duparc. Cette société jouera un rôle majeur dans la vie musicale française pendant plusieurs décennies. Franck, qui dès le début prend activement part à son travail, en devient président en 1886.
La musique française, en particulier la musique instrumentale, commence à se développer rapidement. Franck, déjà quinquagénaire, porté par cette vague, entre dans sa période de maturité créatrice, la plus fructueuse de sa vie. Il est adulé par de nombreux jeunes musiciens en tant que compositeur, en tant qu’organiste et en tant que professeur. En 1872, il obtient un poste de professeur d’orgue au Conservatoire de Paris. Mais de fait il sera tout autant professeur de composition, formant de nombreux compositeurs, dont plusieurs marqueront l’histoire de la musique française (Vincent d’Indy, Henri Duparc, Ernest Chausson, Louis Vierne, entre autres).
En 1879, Franck achève son Quintette pour piano et cordes, un chef-d’œuvre absolu de musique de chambre. De même, son Prélude, Choral et Fugue pour piano (1884) est un des sommets de tout le répertoire pianistique. Sa Sonate pour violon et piano de 1886 deviendra également une des œuvres clés du genre et inspirera Marcel Proust. Elle sera pour lui un des prototypes de la Sonate de Vinteuil dans Un amour de Swann.
Parmi d’autres productions importantes de Franck, évoquons ses Variations symphoniques pour piano et orchestre (1885), sa Symphonie en ré mineur (1886-1888), son Quatuor à cordes (1889), ses poèmes symphoniques et ses pièces pour orgue.
La musique de Franck, reflète la profondeur intellectuelle et émotionnelle, la complexité des vécus et des aspirations humaines de l’époque romantique. A la sortie de cette époque d’envolées et de déceptions, d’idéaux romantiques, d’ébranlements sociaux et politiques, elle en fait une synthèse centrée sur le chemin spirituel de l’Homme en quête de la vérité et de l’intégrité.
César Franck meurt le 8 novembre 1890 suite à des complications d’une blessure causée par un accident de circulation.
Écoutes supplémentaires
Poème symphonique Les Djinns d’après Victor Hugo.
Victor Hugo était le poète préféré de César Franck. Il a mis en musique plusieurs de ses poèmes et s’est inspiré de sa poésie dans deux poèmes symphoniques (dont un de jeunesse).
Les Djinns, poème symphonique pour piano et orchestre, a été composé en 1884. La musique de Franck est une illustration musicale impressionnante de cet extrait du recueil Orientales, publié en 1829 (v. le texte plus bas).
Textes associés
1.
Extrait d’un article polémique d’Octave Mirbeau (1848-1917) – écrivain, critique d’art et journaliste français – « César Franck et Monsieur Gounod », paru le 27 décembre 1896 dans le quotidien Le Journal (source : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k76190517/f1.item).
Repris dans : Mirbeau, Octave. Des artistes (Peintres, sculpteurs et musiciens). Série 2. Paris, Flammarion, 1924, p. 265-272 (https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k96265116/f278.item).
« (…) aucun, dans le passé et dans le présent, n’eut autant que César Franck l’ampleur de l’éloquence, la richesse de l’imagination, l’abondance de l’idée, la possession entière, jusqu’au miracle de son art. Et son style a la clarté limpide des sources qui chantent sous les fleurs, le large et profond rythme des grandes houles de la mer, sous la brise. Toutes ses œuvres ont un tel caractère de généralisation dans le génie, elles ont une telle répercussion d’espérance dans le cœur de l’homme, qu’elles vont à l’esprit des plus savants comme à l’âme des plus ingénus. Jamais une obscurité ; il est tout lumière ; jamais une faiblesse, un heurt, un arrêt ; son effusion déborde, et son élan vers le divin, monte, monte, toujours plus haut, en ascensions harmonieuses et simples.
Devant les œuvres de César Franck, moi qui n’ai point sa foi et ne crois pas à son Dieu, j’éprouve ce trouble puissant, cette admiration redoutable que me donne le spectacle des cathédrales de Bruges, de ces montées, en acte de foi, de la pierre rouge dans l’infini du firmament. Mon doute bronche et fléchit au seuil de ces temples, comme à la porte céleste de ces œuvres, et je me dis que l’Idée par qui tant de prodiges furent créés à travers les siècles, doit avoir, tout de même, dans la vie, des racines impérissables et bien profondes. » (p. 271-272)
2.
Victor Hugo. Les Djinns (poème du recueil Les Orientales, 1829).
César Franck a utilisé ce poème comme programme pour son poème symphonique du même nom. (v. l’enregistrement plus haut).
Les Djinns
Murs, ville,
Et port,
Asile
De mort,
Mer grise
Où brise
La brise,
Tout dort.
Dans la plaine
Naît un bruit.
C’est l’haleine
De la nuit.
Elle brame
Comme une âme
Qu’une flamme
Toujours suit !
La voix plus haute
Semble un grelot.
D’un nain qui saute
C’est le galop.
Il fuit, s’élance,
Puis en cadence
Sur un pied danse
Au bout d’un flot.
La rumeur approche.
L’écho la redit.
C’est comme la cloche
D’un couvent maudit ;
Comme un bruit de foule,
Qui tonne et qui roule,
Et tantôt s’écroule,
Et tantôt grandit,
Dieu ! la voix sépulcrale
Des Djinns !… Quel bruit ils font !
Fuyons sous la spirale
De l’escalier profond.
Déjà s’éteint ma lampe,
Et l’ombre de la rampe,
Qui le long du mur rampe,
Monte jusqu’au plafond.
C’est l’essaim des Djinns qui passe,
Et tourbillonne en sifflant !
Les ifs, que leur vol fracasse,
Craquent comme un pin brûlant.
Leur troupeau, lourd et rapide,
Volant dans l’espace vide,
Semble un nuage livide
Qui porte un éclair au flanc.
Ils sont tout près ! – Tenons fermée
Cette salle, où nous les narguons.
Quel bruit dehors ! Hideuse armée
De vampires et de dragons !
La poutre du toit descellée
Ploie ainsi qu’une herbe mouillée,
Et la vieille porte rouillée
Tremble, à déraciner ses gonds !
Cris de l’enfer! voix qui hurle et qui pleure !
L’horrible essaim, poussé par l’aquilon,
Sans doute, ô ciel ! s’abat sur ma demeure.
Le mur fléchit sous le noir bataillon.
La maison crie et chancelle penchée,
Et l’on dirait que, du sol arrachée,
Ainsi qu’il chasse une feuille séchée,
Le vent la roule avec leur tourbillon !
Prophète ! si ta main me sauve
De ces impurs démons des soirs,
J’irai prosterner mon front chauve
Devant tes sacrés encensoirs !
Fais que sur ces portes fidèles
Meure leur souffle d’étincelles,
Et qu’en vain l’ongle de leurs ailes
Grince et crie à ces vitraux noirs !
Ils sont passés ! – Leur cohorte
S’envole, et fuit, et leurs pieds
Cessent de battre ma porte
De leurs coups multipliés.
L’air est plein d’un bruit de chaînes,
Et dans les forêts prochaines
Frissonnent tous les grands chênes,
Sous leur vol de feu pliés !
De leurs ailes lointaines
Le battement décroît,
Si confus dans les plaines,
Si faible, que l’on croit
Ouïr la sauterelle
Crier d’une voix grêle,
Ou pétiller la grêle
Sur le plomb d’un vieux toit.
D’étranges syllabes
Nous viennent encor ;
Ainsi, des arabes
Quand sonne le cor,
Un chant sur la grève
Par instants s’élève,
Et l’enfant qui rêve
Fait des rêves d’or.
Les Djinns funèbres,
Fils du trépas,
Dans les ténèbres
Pressent leurs pas ;
Leur essaim gronde :
Ainsi, profonde,
Murmure une onde
Qu’on ne voit pas.
Ce bruit vague
Qui s’endort,
C’est la vague
Sur le bord ;
C’est la plainte,
Presque éteinte,
D’une sainte
Pour un mort.
On doute
La nuit…
J’écoute : –
Tout fuit,
Tout passe
L’espace
Efface
Le bruit.
Claude Debussy (1862-1918)
Extrait du livret
Claude Debussy est un des plus grands novateurs de l’histoire de la musique et une figure artistique majeure de la Belle Époque. Cette période du développement industriel, du progrès fulgurant des sciences et des technologies a été également celle du grand foisonnement artistique. La musique française a alors connu un nouvel essor, aussi spectaculaire que celui des arts plastiques, de la littérature, du théâtre ou du jeune art du cinéma. Une place notoire y appartient à la production pianistique, avec de nombreuses œuvres de Fauré, Debussy et Ravel.
La musique de Debussy est souvent définie comme impressionniste. Le compositeur s’est effectivement inspiré des peintres impressionnistes, mais son œuvre avait des affinités également avec d’autres courants de son époque, en particulier avec les poètes symbolistes. Quant à Debussy lui-même, il a toujours rejeté le qualificatif d’impressionniste, ainsi que toute autre étiquette.
La Suite Bergamasque fait néanmoins partie de ses compositions que l’on pourrait légitimement inclure dans une anthologie de l’impressionnisme musical, avec sa palette lumineuse, sa joie de vivre, son sentiment de plein air, de liberté et de beauté de l’instant. C’est aussi une des œuvres les plus jouées de Debussy, surtout avec le célébrissime Clair de lune. Une autre particularité de la Suite bergamasque est qu’elle représente une œuvre de jeunesse retravaillée dans la période de pleine maturité. Sa première mouture remonte à 1890, tandis que la partition n’a été publiée qu’en 1905, après une révision substantielle. Il est impossible aujourd’hui de comparer les différentes versions, car seul le texte définitif nous est parvenu. Mais cela ne nous empêche pas d’affirmer que le compositeur y réussit à marier la fraîcheur printanière de sa première manière avec l’extraordinaire richesse et finesse d’écriture de ses années plus tardives.
Admirateur de Couperin et de Rameau, Debussy a emprunté le modèle à la suite baroque, mais l’a traité en toute liberté. Le Prélude se réfère au baroque, mais ses modes et ses accords, tout en étant novateurs, rappellent, d’une part, ceux de la Renaissance et, d’autre part, certaines musiques « exotiques » (notamment, le gamelan). Le Menuet – pittoresque et plein d’humour – n’a qu’une lointaine ressemblance avec celui du XVIIIe siècle. Le Passepied, d’une saveur quelque peu médiévale, est également bien éloigné de son prototype historique.
Le terme « bergamasque » renvoie à la danse paysanne éponyme du XVIe siècle, ainsi qu’au carnaval de Bergame avec ses personnages de la commedia dell’arte, évoqué par Verlaine dans son poème Clair de lune :
Votre âme est un paysage choisi Que vont charmant masques et bergamasques Jouant du luth et dansant et quasi Tristes sous leurs déguisements fantasques (…)
Le troisième mouvement de la Suite reprend le titre de ce poème, tandis que dans le Prélude on entend quelques réminiscences de la mélodie de Gabriel Fauré, composée sur ce même texte.
Pistes 1-4 du disque :
La Belle Époque
À partir des dernières années du XIXe siècle jusqu’au début de la Grande Guerre en 1914, la France a vécu l’une des plus heureuses périodes de son histoire, que la postérité appellera la « Belle Époque ». Le pays a débouché sur cette sorte de plateau radieux après une période plus difficile (bras de fer entre républicains et conservateurs, dépression mondiale de 1873-1896), marquée, cependant, par le développement continu des technologies, des sciences, des arts et des lettres.
Dans la société, l’atmosphère dominante était celle d’optimisme et du plaisir de vivre, qui se répandait progressivement pour culminer dans les années 1900. Cette surface dissimulait pourtant de vagues pressentiments funestes et des symptômes de lassitude dans la continuité de l’esprit « Fin de siècle » avec sa mélancolie, son amertume et son mysticisme.
Durant une vingtaine d’années après l’adoption de la constitution de 1875, la Troisième République se consolidait progressivement, en surmontant des remous et des contradictions. Le choc de la défaite contre la Prusse en 1871 et de la perte de l’Alsace-Loraine avaient entrainé une montée des sentiments patriotiques, nationalistes et revanchistes. Mais le traumatisme en était en partie tempéré par la poursuite de l’expansion coloniale et par des progrès dans la vie sociale.
Le développement de la société a notamment été favorisé par plusieurs lois d’importance historique : la loi sur la liberté de la presse (1881), la loi du droit de syndicalisation (1884), et, surtout, les lois Jules Ferry (1881-1882) qui ont rendu l’école gratuite et l’instruction primaire obligatoire. Elles ont été suivies par la loi de la liberté d’association (1901) et la loi de séparation des Églises et de l’État (1905). Avec cette dernière, la République, menée par les forces de gauche, s’est sécularisée définitivement.
La consolidation de la gauche contre les forces chauvinistes, conservatrices et cléricales, a été fortement stimulée par la fameuse Affaire Dreyfus qui a secoué et divisé la nation entre 1894 et 1906. Au centre de ce scandale politique et social se trouvait la condamnation infondée d’un officier juif, Alfred Dreyfus, pour trahison au profit de l’Allemagne. La profonde injustice, voire l’absurdité de l’accusation contre Dreyfus, mise en évidence de manière éclatante dans le célèbre article d’Émile Zola J’accuse…! (1898), a fini par entacher péremptoirement les « antidreyfusards » et affermir les forces qui portaient les valeurs libérales et républicaines.
Pendant ce temps, la France a atteint un niveau élevé et stable de croissance économique (en moyenne 2,6 % par an). Mais c’est surtout la bourgeoisie qui a prospéré de façon spectaculaire. Son mode de vie, ses loisirs, son oisiveté, sa culture, ont été déterminants pour l’ambiance générale de la Belle Époque.
Le progrès technologique a apporté des innovations majeures, comme l’utilisation généralisée de l’électricité, l’introduction de l’automobile, ou les débuts de l’aviation.
L’Exposition Universelle de de 1889, dédiée au 100e anniversaire de la Révolution française, frappait l’imagination par diverses merveilles technologiques et architecturales, dont la Tour Eiffel, devenue un symbole de Paris. La célébration de la modernité s’est poursuivie avec l’Exposition Universelle de 1900, à l’occasion de laquelle Paris s’est doté de sa première ligne de métro.
Paris s’est également fait célèbre pour ses cafés – espaces incontournables de la vie quotidienne et lieux de rendez-vous des artistes et des intellectuels.
En 1895 les frères Lumière organisent à Paris les premières projections de films sur grand écran. Cette date est souvent considérée comme le point de départ de l’industrie cinématographique. Dès l’année suivante le cinéaste français Georges Méliès commence à développer son art féerique, aboutissant à un joyau comme Le voyage dans la Lune, sorti en 1902.
Le premier courant artistique, annonciateur de la future Belle Époque, était l’impressionnisme, né dans les années 1860. Faisant opposition à l’art académique, l’impressionnisme privilégiait les jeux de couleurs et de lumière à la rigueur du dessin, l’intuition à la rationalité, la fugacité du mouvement à l’architectonique de la composition, la représentation de la vie ambiante au sujets mythologiques, religieux ou historiques. Ses principaux représentants étaient Édouard Manet, Edgar Degas, Paul Cézanne, Auguste Renoir, Claude Monet, Camille Pissarro, Alfred Sisley.
Les années 1870 voient émerger le symbolisme – courant principalement littéraire – qui présente une autre facette, plus obscure et brumeuse, de l’esprit de l’époque. Il se délecte de la mélancolie, tend vers l’énigmatique, l’ineffable et l’ésotérique. À ce courant, dont la figure centrale est Stéphane Mallarmé, s’associent entre autres Verlaine, Rimbaud, Lautréamont, Maeterlinck.
L’effervescence artistique s’intensifie avec l’apparition de divers courants postimpressionnistes : néo-impressionnisme, pointillisme, synthétisme, fauvisme, cubisme… Parmi les grands artistes il suffit de citer van Gogh, Gauguin, Toulouse-Lautrec, Cézanne, Seurat, Signac, Matisse, Picasso.
Dans les années 1890 naît également l’Art nouveau, qui s’impose dans l’architecture et le design. Le théâtre connaît également une période de floraison (Edmond Rostand, Paul Claudel, Georges Feydeau…). Le monde de la littérature est marqué par la création des premiers prix littéraires (prix Goncourt, prix Femina).
Quant à la musique, le grand renouveau commence déjà dans les années 1870, avec Camille Saint-Saëns, César Franck et son école, Georges Bizet, Gabriel Fauré. Mais une impulsion encore plus puissante vient dès les années 1890 des compositeurs plus jeunes à tendance impressionniste – surtout Claude Debussy et Maurice Ravel.
À la Belle Époque Paris devient un centre mondial de la création musicale. Des compositeurs et des interprètes du monde entier viennent y vivre, travailler et chercher leur consécration, dont Igor Stravinsky, Isaac Albéniz, Manuel de Falla. La vie musicale parisienne est durablement marquée par la compagnie des Ballets russes ; les orchestres symphoniques parisiens sont parmi les meilleurs au monde. Les grands salons, comme ceux de la comtesse Greffuhle et la princesse de Polignac, donnent le ton et animent le brassage artistique.
Debussy : musique, poésie et peinture
Claude Debussy naît à Saint-Germain-en-Laye, le 22 août 1862, dans une famille de vendeurs de porcelaine. Cinq ans plus tard, le commerce n’étant pas rentable, les Debussy déménagent à Paris. Manuel-Achille, le père de famille, y trouve un emploi dans une imprimerie. En 1871, il adhère à la Commune de Paris et devient capitaine de la Garde Nationale. Après l’écrasement de la Commune, il est condamné à quatre ans de prison. Il est libéré après un an, mais ses droits civiques restent suspendus jusqu’à la fin de sa peine.
Pendant son incarcération Manuel-Achille se lie d’amitié avec un autre détenu communard, le musicien Charles de Sivry. C’est par ce concours de circonstances que l’éducation musicale du jeune Claude Debussy est confiée à la mère de Charles de Sivry, l’excellente pianiste Antoinette-Flore Mauté de Fleurville. Il se trouve aussi, que la fille de Mme Mauté est mariée avec Paul Verlaine. L’enfant, qui avait déjà pris quelques cours de musique auparavant, progresse vite et entre au Conservatoire de Paris en 1872. Debussy devient un fin pianiste, mais pas un concertiste virtuose. Elève rebelle, il reste toute sa vie un notoire non-conformiste, en gardant un ressentiment contre l’académisme dogmatique du Conservatoire.
Durant tout sa vie Debussy ne cesse d’innover, de rafraichir les moyens d’expression musicale, d’inventer de nouvelles harmonies et de nouvelles formes. Son influence sur le cours de l’histoire de la musique est immense. La postérité le considère comme un des fondateurs de l’avant-garde musicale.
Sa première œuvre imprimée, la mélodie* Nuit d’étoiles (1880 ou avant) sur un poème de Théodore de Banville (1823-1891), révèle déjà l’individualité accomplie du compositeur. Elle frappe par la fraîcheur et la pureté des couleurs, par la souplesse et l’expressivité mélodiques, par la concordance naturelle entre la mise en musique et la déclamation poétique.
Pour Debussy, la poésie, la littérature et la peinture sont devenues des sources d’inspiration intarissables. Adolescent, il a même songé à une carrière de peintre. Dans une lettre de 1911 à son jeune collègue Edgar Varèse, il déclarait qu’il aimait « presque autant les images que la musique ». Il admirait Botticelli, Hokusai, Gustave Moreau, Klimt, Camille Claudel, les préraphaélites, les impressionnistes. Ses lectures étaient abondantes : Alfred de Musset, Théophile Gautier, Flaubert, les Goncourt, Maupassant, de Banville, Baudelaire, Verlaine, Mallarmé, Maeterlinck…
La musique de Debussy se caractérise par la prépondérance de la couleur harmonique sur la mélodie, par l’immersion dans la magie de l’instant, par la transparence et l’élaboration fine de la texture, par un penchant pour le « paysagisme » sonore, par l’esthétisme raffiné et l’évitement de toute démesure.
Son style et son imaginaire se rapprochent autant de l’impressionnisme pictural que du symbolisme littéraire, mais ils n’y sont en aucun cas réductibles, d’abord, parce qu’on y trouve d’autres influences importantes (Art nouveau, estampe japonaise, commedia dell’arte, entre autres), et ensuite, parce que dans son art, Debussy était intègre et souverain, ne cherchant jamais à s’aligner sur quelque tendance que ce soit. Les tentatives d’étiquetage de son style l’agaçaient.
Ses recherches créatrices étaient dans une large mesure nourries par ses liens personnels avec les artistes. Il fréquentait plusieurs salons, dont celui de Stéphane Mallarmé, qui tous les mardis réunissait des intellectuels (les « Mardistes ») pour discuter de philosophie, d’art et de littérature. Parmi eux on comptait : Rainer Maria Rilke, Paul Claudel, Paul Verlaine, Paul Valéry, Oscar Wilde, Claude Monet, Pierre-Auguste Renoir, Edgar Degas, James Whistler.
La relation de Debussy avec Paul Verlaine était marquée par l’admiration mutuelle. L’écrivain et poète Pierre Louÿs était un de ses amis les plus proches. Le poème de Mallarmé L’Après-midi d’un faune est à l’origine d’une des œuvres fondatrices de la modernité musicale Prélude à l’après-midi d’un faune (1892-1894). Au sujet de cette pièce, Mallarmé écrivait à Debussy :
Je sors du concert, très ému : la merveille ! Votre illustration de « l’Après-midi d’un faune », qui ne présenterait de dissonance avec mon texte, sinon qu’aller plus loin, vraiment, dans la nostalgie et dans la lumière, avec finesse, avec malaise, avec richesse. Je vous presse les mains admirablement, Debussy. (23 décembre 1894)
Les tableaux impressionnistes du peintre américain James Whistler (série Nocturnes) ont inspiré une des plus importantes pièces orchestrales de Debussy, le triptyque Nocturnes (1897-1899).
Sur les textes de Verlaine, Debussy a composé plusieurs œuvres, dont Fêtes galantes – une série de six mélodies* réparties en deux cahiers (le premier achevé en 1892, le second en 1904). Parmi ces mélodies figure Clair de lune (N°3 du premier cahier), qui a également inspiré le troisième mouvement de la Suite bergamasque, et qui avait été remarquablement mis en musique également par Gabriel Fauré en 1887.
Enfin, l’unique opéra achevé de Debussy, Pelléas et Mélisande (1902), est composé d’après une œuvre-phare du théâtre symboliste, le drame éponyme de Maurice Maeterlinck, qui l’a lui-même adapté en livret d’opéra pour Debussy. À la première, la réception de cet opéra a été houleuse. Mais ultérieurement, il a été reconnu comme une des œuvres les plus marquantes du théâtre musical du XXe siècle.
* La mélodie française est un genre musical apparu vers le milieu du XIXe siècle. C’est une pièce pour voix et piano, plus rarement, pour voix et orchestre, sur un texte poétique qui joue un rôle aussi important que la musique. Proche du Lied allemand, la mélodie a, cependant, un caractère plus aristocratique et recherché.
Écoutes supplémentaires
Textes associés
1.
Théodore de Banville
La dernière Pensée de Weber (Nuit d’étoiles…) *
(Les stalactites, 1846)
Nuit d’étoiles,
Sous tes voiles,
Sous ta brise et tes parfums,
Triste lyre
Qui soupire,
Je rêve aux amours défunts.
La sereine mélancolie vient éclore
Au fond de mon cœur,
Et j’entends l’âme de ma mie
Tressaillir dans le bois rêveur.
Nuit d’étoiles… (etc.)
Dans les ombres de la feuillée,
Quand tout bas je soupire seul,
Tu reviens, pauvre âme éveillée,
Toute blanche dans ton linceul.
Nuit d’étoiles… (etc.)
Je revois à notre fontaine
Tes regards bleus comme les cieux ;
Cette rose, c’est ton haleine,
Et ces étoiles sont tes yeux.
Nuit d’étoiles… (etc.)
* Debussy, dans sa mélodie n’utilise pas le couplet « Dans les ombres de la feuillée… »
2.
Paul Verlaine
Clair de lune
(Fêtes galantes, 1869)
Votre âme est un paysage choisi
Que vont charmant masques et bergamasques
Jouant du luth et dansant et quasi
Tristes sous leurs déguisements fantasques.
Tout en chantant sur le mode mineur
L’amour vainqueur et la vie opportune,
Ils n’ont pas l’air de croire à leur bonheur
Et leur chanson se mêle au clair de lune,
Au calme clair de lune triste et beau,
Qui fait rêver les oiseaux dans les arbres
Et sangloter d’extase les jets d’eau,
Les grands jets d’eau sveltes parmi les marbres.
3.
En 1901, Claude Debussy a été sollicité par La Revue blanche, pour y intervenir en tant que critique musical. À cette occasion le compositeur invente le personnage de Monsieur Croche qui apparaîtra dans plusieurs de ses articles en dialoguant avec l’auteur et exprimant ses vues sur la musique. Par la suite Debussy publiera ses critiques également dans d’autres périodiques. En voici quelques extraits :
« Être supérieur aux autres n’a jamais représenté un grand effort si l’on n’y joint pas le beau désir d’être supérieur à soi-même… » (« L’entretien avec M. Croche », La Revue blanche, 1er juillet 1901. Repris dans : Debussy, Claude. Monsieur Croche et autres écrits. Paris, Gallimard, 1971, p. 47).
« Il faut chercher la discipline dans la liberté et non dans les formules d’une philosophie devenue caduque et bonne pour les faibles. N’écouter les conseils de personne, sinon du vent qui passe et nous raconte l’histoire du monde. » (Ibid., p. 52)
« Savez-vous une émotion plus belle qu’un homme resté inconnu le long des siècles, dont on déchiffre par hasard le secret ?… Avoir été un de ces hommes… voilà la seule forme valable de la gloire. » (Idem).
« Ai-je empli l’air de mes clameurs alors que depuis plus d’un an l’Opéra-Comique n’a pas joué Pelléas ? On m’a sifflé en Italie : le moment viendra peut-être où on m’applaudira. Il ne faut pas situer la réussite d’une œuvre dans son époque. On n’écrit pas de la musique pour gagner des millions; il faut voir un peu plus loin que le bout de sa partition.
On a vraiment mis au jour des arguments que je trouve pénibles pour l’art français si artiste, si chevaleresque. Celui-là parle de 7 600 francs de recette, cet autre de 8 300; un troisième renchérit et dit que son œuvre a “fait” 9 000 francs… Ce sont là des dialogues de marchands.
Et en somme de quoi se plaignent les compositeurs ? N’est-ce pas partout la même situation ? J’étais à Vienne l’autre jour : que jouait-on à l’Opéra ? Carmen, et le lendemain La Tosca. Les compositeurs autrichiens n’ont donc aucune valeur ? Je n’en sais rien. Mais ce qui est sûr, c’est que dans le monde entier les directeurs de théâtre sont obligés de jouer les pièces qui leur rapportent de l’argent; et nul d’entre eux n’aura la bonne pensée de faire faillite pour plaire à un compositeur. » (« La musique étrangère et les compositeurs français », interview par Louis Schneider, Le Gaulois, 10 janvier 1911. Repris dans : Debussy, Claude. Monsieur Croche et autres écrits. Paris, Gallimard, 1971, p. 293).
Olivier Messiaen (1908-1992)
Extrait du livret
L’œuvre d’Olivier Messiaen est une des plus imposantes et originales dans le paysage musical du XXe siècle. Elle est à plus forte raison centrale pour la création musicale française.
Le XXe siècle a été une période de querelles esthétiques sans doute les plus violentes et les plus nombreuses de l’histoire de la musique classique. Parmi toutes ces querelles entre les courants et les styles, la fracture la plus générale passe entre les démarches avant-gardistes (musique dite « contemporaine ») et les approches plus traditionnelles. Dans ce contexte, Messiaen occupe une place particulière. D’une part, il appartient de plein droit à l’avant-garde, puisque son langage musical est unique et novateur, et puisqu’il a influencé les compositeurs les plus radicaux. Mais, d’autre part, sa musique garde des liens palpables avec la tradition.
À l’instar de César Franck, Messiaen était un organiste hors pair. Depuis son âge de 22 ans jusqu’à son décès, il a travaillé à l’église de la Trinité dans le 9e arrondissement de Paris. Profondément croyant, dans beaucoup de ses compositions il s’inspirait de sujets religieux et de la mystique catholique. Les chants d’oiseaux sont une autre grande source de son inspiration. Ils sont très présents notamment dans son œuvre pour piano qui est parmi les plus importantes au XXe siècle.
Les deux pièces, qui figurent dans ce programme, exemplifient une esthétique de jonction entre l’avant-garde et la tradition.
Dans Prélude, composé en 1964, Messiaen imite au piano les sonorités massives et l’écriture à trois « étages » (deux mains et pédalier) de l’orgue. Cette pièce dithyrambique aurait quasiment pu être improvisée par le compositeur sous les voûtes de cathédrale.
L’alouette lulu fait partie du recueil de treize pièces Catalogue d’oiseaux, composé entre 1956 et 1958. Les chants d’oiseaux avaient été soigneusement notés par Messiaen lui-même lors de ses voyages. Sur la page titre du Catalogue on lit :
Chants d’oiseaux des provinces de France. Chaque soliste est présenté dans son habitat, entouré de son paysage et des chants des autres oiseaux qui affectionnent la même région.
Chaque morceau du recueil est également précédé d’un texte explicatif. Voici celui qui introduit L’alouette lulu :
Du Col du Grand Bois à Saint-Sauveur en Rue, dans le Forez. Bois de pins à droite de la route, prairies de pâturage à gauche. Du haut du ciel, dans l’obscurité, la Lulu égrène ses deux en deux : descentes chromatiques et liquides. Caché dans un buisson, en clairière du bois, un Rossignol lui répond. Contraste entre les trémolos mordants du Rossignol, et cette voix mystérieuse des hauteurs. La Lulu, invisible, se rapproche, s’éloigne. Les arbres et les champs sont noirs et calmes. Il est minuit.
Pistes 8-9 du disque :
L’alouette lulu : éléments supplémentaires
En plus du programme poétique cité plus haut, la partition de Messiaen comporte des indications qui précisent le sens expressif et symbolique des sections.
Ainsi, les accords graves du début, qui reviennent tout au long du morceau, portent une inscription :
(la nuit)
À l’entrée du chant de l’alouette, le compositeur écrit :
La virtuosité de la Lulu doit rester irréelle : comme une voix qui tombe des étoiles…
Au moment de l’entrée du rossignol (2’08” de l’enregistrement), on lit :
La voix de la terre (Rossignol) répond à la voix du ciel (Alouette Lulu). L’entrée du Rossignol doit être subitement proche, forte et brillante.
Il est également fascinant d’entendre les voix de vrais oiseaux représentés dans la musique :
L’œuvre d’Olivier Messiaen
Olivier Messiaen nait le 10 décembre 1908 à Avignon. Son père, Pierre Messiaen, est écrivain, intellectuel catholique, professeur et traducteur de la littérature anglaise, spécialiste de Shakespeare. Sa mère, Cécile Sauvage, est poétesse.
En 1914, Pierre Messiaen est mobilisé, suite à quoi sa femme part vivre à Grenoble, chez son frère, en y emmenant ses deux enfants.
Dès son très jeune âge, le futur compositeur baigne dans l’atmosphère intellectuelle et artistique de sa famille. Il adore le théâtre, surtout celui Shakespeare, qu’il met en scène devant son frère (Alain Messiaen, futur poète), en fabriquant lui-même des décors en cellophane colorié et en jouant seul tous les rôles.
Par lui-même, il s’essaie aussi au piano, et bientôt, sa mère lui trouve une maitresse de musique. À l’âge de 8 ans, Olivier Messiaen compose déjà ses premières pièces. Dès cette époque il est également un fervent croyant catholique.
En 1919, la famille déménage à Paris, où Pierre Messiaen est nommé professeur au lycée Charlemagne. La même année, Olivier entre au Conservatoire de Paris. De 1924 à 1930 il enchaîne les prix d’harmonie, de contrepoint, d’accompagnement au piano, d’histoire de la musique, d’orgue et, enfin, de composition.
En 1931, à l’âge de 22 ans, il obtient un poste d’organiste à l’église de la Sainte-Trinité de Paris. Il en reste titulaire jusqu’à la fin de sa vie.
En 1936, Messiaen, avec trois autres compositeurs – André Jolivet, Daniel-Lesur et Yves Baudrier – participe à la fondation du groupe Jeune France, qui se donne pour but de « rendre à l’art ses valeurs humanistes » et de réintroduire la spiritualité dans la musique. Les activités du groupe prennent fin avec le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale.
Dès le début de la guerre, en septembre 1939, Messiaen est mobilisé. Le 22 juin 1940, il est fait prisonnier par les Allemands et transféré dans un camp à Görlitz, en Silésie. C’est là, pendant son internement, qu’il compose une de ses œuvres les plus célèbres, le Quatuor pour la fin du temps pour piano, clarinette, violon et violoncelle. La création de cette vaste composition en huit mouvements, d’une durée de 40 minutes environ, a lieu dans le même camp, le 15 janvier 1941. Les interprètes sont Messiaen lui-même au piano et trois autres musiciens détenus.
Libéré à la mi-février 1941, Messiaen est élu au poste de professeur d’harmonie au Conservatoire de Paris. Par la suite, il y est professeur de philosophie de la musique, puis, d’analyse musicale, et enfin, dès 1966, de composition. Par sa classe, devenue légendaire, passent des dizaines de compositeurs de renom mondial, dont Karlheinz Stockhausen, Pierre Boulez, Iannis Xenakis, Pierre Henry, François-Bernard Mâche, Gérard Grisey, Tristan Murail.
En 1967, il devient membre de l’Académie des beaux-arts de l’Institut de France.
Le langage musical de Messiaen est unique dans son genre. Il comprend :
- un système original de modes, d’accords et de rythmes, théorisé dans son ouvrage Technique de mon langage musical (1944) ;
- les chants d’oiseaux, qu’il notait, enregistrait au magnétophone et cataloguait méthodiquement ;
- des techniques du contrepoint occidental ;
- des influences de musiques d’Inde ;
- des principes de la métrique grecque ;
- une influence de la musique médiévale (plain-chant) ;
- une perception synesthésique des accords (association mentale entre les sons et les couleurs), souvent liée à sa fascination pour les vitraux.
De nombreuses compositions de Messiaen contiennent des chants d’oiseaux. Certaines y sont entièrement dédiées, comme Le merle noir pour flûte et piano (1951), Réveil des oiseaux pour piano et orchestre (1952-1953), Oiseaux exotiques pour piano et orchestre (1955-1956), Catalogue d’oiseaux pour piano (1956-1958).
Une partie importante de son œuvre est liée à la spiritualité chrétienne. On peut citer Vingt regards sur l’Enfant Jésus pour piano (1944), Messe de la Pentecôte, pour orgue (1948-1950), La Transfiguration de Notre Seigneur Jésus-Christ pour chœur mixte, 7 solistes instrumentaux et un grand orchestre (1965-1969), Méditations sur le Mystère de la Sainte Trinité pour orgue (1969), Livre du Saint Sacrement pour orgue (1984), Éclairs sur l’Au-Delà… pour grand orchestre (1987-1991), sans oublier son unique opéra Saint François d’Assise (1971-1983).
La création de Saint François d’Assise a lieu le 28 novembre 1983 à Paris, à l’Opéra Garnier. Cette composition d’une durée de quatre heures environ, dont la partition comporte huit volumes faisant 2500 pages, est une des plus monumentales productions musicales du XXe siècle. C’est aussi le summum de l’art de Messiaen, qui y a réalisé une synthèse de toutes ses techniques et de tous les thèmes principaux de son œuvre.
Textes associés
1.
Extraits d’une conférence donnée par Olivier Messiaen à Kyoto le 12 novembre 1985 :
« J’ai toujours aimé la couleur. Tout enfant, je faisais des décors de théâtre miniature, dont les fonds de scène étaient en cellophane colorée avec des encres de couleurs. Je plaçais ces fonds de scène contre une fenêtre, et la lumière du soleil passait à travers mes cellophanes et renvoyait des reflets colorés. Vers l’âge de 10 ans, j’ai vu pour la première fois les vitraux de la Sainte Chapelle à Paris, et ces vitraux me marquèrent pour la vie. J’aime aussi beaucoup les vitraux de la cathédrale de Bourges, leurs rouges et leurs bleus sont extraordinaires, mais rien ne peut remplacer la Saint Chapelle qui est toute en vitres.
(…)
En effet, depuis toujours, lorsque j’entends ou lorsque je lis de la musique (en l’entendant intérieurement), je vois dans ma tête des complexes de couleurs qui marchent et bougent avec les complexes de sons. » (Messiaen, Olivier. Conférence de Kyoto. Paris, Alphonse Leduc, 1988, p. 5-6).
« Je ne suis pas seulement musicien, rythmicien, et apôtre du son couleur, je suis aussi ornithologue. Depuis l’âge de 18 ans environ, je note des chants d’oiseaux. J’ai noté des chants d’oiseaux chaque année, au moment où les oiseaux chantent, c’est-à-dire au printemps, tôt le matin (avant le lever du soleil), tard le soir (avant le coucher du soleil), et aussi dans la matinée et dans l’après-midi. J’ai fait ce travail d’abord en France, puis aux États-Unis d’Amérique, au Japon, et en Nouvelle-Calédonie. Chaque oiseau a son style, son esthétique particulière. (…)
L’emploi des chants d’oiseaux dans une œuvre demande beaucoup de travail. Il y a d’abord la notation. C’est une dictée musicale, prise dans la nature, avec un crayon et du papier à musique. On peut en même temps enregistrer le chant au magnétophone, et faire une autre dictée musicale d’après le magnétophone. Généralement, la notation d’après le magnétophone est plus exacte – mais plus artistique est celle faite dans la nature. Il faut noter plusieurs fois un même oiseau, et mélanger toutes les notations, pour obtenir un oiseau idéal. Il faut ensuite rendre le timbre de l’oiseau. On peut le faire par l’instrumentation : les piccolos, les flûtes, le xylophone, le piano, peuvent se rapprocher du timbre de certains oiseaux. On peut aussi rendre le timbre par l’harmonisation. C’est en inventant des accords plus ou moins chargés en sons harmoniques que l’on se rapproche le plus de l’oiseau. Plusieurs oiseaux chantent parfois ensemble, spécialement au lever du jour. » (Messiaen, Olivier. Conférence de Kyoto. Paris, Alphonse Leduc, 1988, p. 9-10).
2.
Olivier Messiaen à propos des oiseaux (texte de 1959, cité par Harry Halbreich dans L’Œuvre d’Olivier Messiaen (2008) :
« La nature, les chants des oiseaux ! Ce sont mes passions. Ce sont aussi mes refuges. Dans mes heures sombres, quand mon inutilité m’est brutalement révélée, quand toutes les langues musicales me semblent réduites au résultat admirable de patientes recherches, que faire, sinon retrouver son visage véritable oublié quelque part dans la forêt, dans les champs, dans la montagne ou au bord de la mer, au milieu des oiseaux ?
C’est là que réside pour moi la musique. La musique libre, anonyme, improvisée pour le plaisir, pour saluer le soleil levant, pour séduire la bien aimée, pour crier à tous que la branche ou le pré sont à vous, pour arrêter toute dispute, toute dissension, rivalité, pour dépenser le trop plein d’énergie qui bouillonne avec l’amour et la joie de vivre, pour trouer le temps et l’espace et faire avec ses voisins d’habitat de généreux et providentiels contre-points, pour bercer sa fatigue et dire adieu à telle portion de vie quand descend le soir. » (Halbreich, Harry. L’Œuvre d’Olivier Messiaen, Paris : Fayard, 2008, p. 87).
Quelques éléments d’histoire de la musique
La France, aux côtés de l’Italie et de l’Allemagne, fait partie des trois pays qui, au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, ont formé le socle de la musique classique européenne.
On divise l’histoire de la musique classique en grandes périodes suivantes :
Baroque : XVIIe et la première moitié du XVIIIe siècles. Principaux représentants : Bach (Allemagne), Händel (Allemagne/Angleterre), Vivaldi (Italie), Rameau (France), Scarlatti (Italie/Espagne).
Classicisme (ou style classique) : du milieu du XVIIIe au début du XIXe siècles. Principaux représentants : Haydn, Mozart, Beethoven (tous les trois font partie de l’École de Vienne).
Romantisme : XIXe siècle. Principaux représentants : Schubert, Schumann, Chopin, Liszt, Wagner, Verdi, Brahms, Tchaïkovski, entre autres.
Modernisme : première moitié du XXe siècle. Principaux représentants : Debussy, Ravel, Scriabine, Schönberg, Stravinski, Bartók, entre autres. Le modernisme en musique inclut des tendances très variées. Les plus marquantes en sont l’impressionnisme, l’expressionnisme et le néoclacissisme.
Musique dite « contemporaine » : à partir de 1945. Principaux représentants : Messiaen, Boulez, Stockhausen, Xenakis, Ligeti, Cage. Depuis les années 1970, dans la création musicale on peut distinguer deux grands courants : l’avant-garde, allant dans la lignée des compositeurs cités, et la post-avant-garde (ou musiques « postmodernes ») représentée par les compositeurs comme Steve Reich, Philip Glass, Arvo Pärt, Alfred Schnittke, Gia Kancheli.
La musique des époques antérieures – du Moyen Âge et de la Renaissance – ne fait pas partie de la musique classique à proprement parler. Il est plus correct de parler respectivement de la musique du Moyen Âge et de la musique de la Renaissance.
Cette périodisation est très schématique et approximative. Notamment, elle confond les concepts de style, de courant et d’époque. Mais, en revanche, elle permet d’avoir un aperçu de l’évolution de la musique à très grande échelle historique. Certains compositeurs s’inscrivent à la fois dans deux périodes successives. C’est, par exemple, le cas de Messiaen dont l’œuvre commence dans la période moderniste et rejoint ensuite l’avant-garde du second XXe siècle.
Il est à noter que dans la musique les grands styles historiques ont tendance à avoir un retard considérable par rapport à l’architecture, la peinture, le théâtre et la littérature. Ainsi, l’impressionnisme musical ne commence à se développer une trentaine d’années plus tard que l’impressionnisme dans la peinture ; le baroque en arts plastiques précède d’un demi-siècle le baroque musical, le style classique dans les arts plastiques, le théâtre et la littérature est à son apogée sous Louis XIV, tandis qu’en musique, il se généralise à partir du milieu du XVIIIe siècle. Le romantisme littéraire en Allemagne est là déjà au troisième tiers du XVIIIe siècle, alors qu’en musique il n’apparait qu’au cours du premier quart du XIXe.
Notice pour l’enseignant
L’enseignant peut utiliser ce dossier pédagogique pour construire un cours ou une séquence de cours autour d’un élément pivot. Cet élément peut être : une des œuvres enregistrées sur le CD Quatre sommets du piano français ; un des quatre compositeurs du dossier ; une période historique ; un auteur ou une œuvre littéraire mentionnés dans le dossier ; un courant artistique, etc.
Chaque partie du dossier comporte un volet « Textes associés », qui propose des textes qui peuvent servir de support pour le travail des étudiants, soit en tant qu’objet principal d’étude – les autres éléments (musique, histoire, images, etc.) pourront alors servir de complément de ce travail –, soit en tant qu’illustration du travail axé sur la musique, l’histoire, les arts plastiques, etc. L’enseignant peut ainsi construire son cours en choisissant, selon ses préférences ou priorités, un sujet principal, auquel il ajoutera des éléments connexes du dossier ou, éventuellement, de son propre apport.
En ce qui concerne Prélude Choral et Fugue de Franck, qui est un œuvre longue et complexe, difficile à être écoutée en classe dans son intégralité, l’enseignant devra, dans la plupart des cas, se limiter à un extrait, le plus naturellement, au Prélude.
Chacune des quatre parties du dossier est dotée d’un bouton de téléchargement, pour que l’enseignant puisse avoir à sa disposition l’ensemble d’images, de vidéos, d’audios et de textes cités, pour préparer sa propre présentation en fonction du contenu de son cours. Les morceaux du CD Quatre sommets du piano français ne sont pas inclus dans les fichiers téléchargeables.
Pour toute suggestion ou critique concernant le contenu de ce dossier veuillez utiliser le formulaire de contact suivant : https://www.georgesberiachvili.com/contact-citr
Remerciements
À l’association Renaissance Française et sa délégation en Géorgie, à l’Université d’Etat Ilia, ainsi que personnellement à Mme Mzagho Dokhturishvili et Mme Mariam Glonti pour leur aide précieuse à la rédaction des textes et à la sélection des images.
Pour toute utilisation des textes originaux de ce dossier, n’oubliez pas de mentionner leur source.
© Georges Bériachvili